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Abus de droit par abus de doctrine : le clair-obscur ?

Pour mémoire et par un avis fiscal célèbre d’Assemblée rendu dans l’affaire dite des « fonds turbo » (1), le Conseil d’Etat avait considéré que la garantie contre les changement de doctrine prévue à  l’article L 80 A du LPF ne permettait pas à l’administration fiscale d’invoquer l’abus de droit lorsque le texte supposé « abusé » était une doctrine administrative.

Dans un arrêt du 20 décembre 2018, la Cour Administrative d’Appel de Paris (2) avait remis en cause, à la surprise générale, la protection absolue qu’offrait l’article L.80 A du Livre des procédures fiscales, en retenant que l’administration fiscale était en droit de reprocher à un contribuable, sur le fondement de l’article L.64 du Livre des procédures fiscales, d’avoir commis un abus de droit en appliquant littéralement les dispositions d’une doctrine administrative.

La décision du Conseil d’Etat en date du 28 octobre 2020 (3) était plus qu’attendue par les praticiens et on peut, d’ores et déjà, affirmer que la solution dégagée par le Conseil d’Etat va faire couler beaucoup d’encre, l’arrêt de la CAA étant invalidé dans son raisonnement mais pas dans ses conclusions.

Dans sa formation la plus solennelle, le Conseil d’Etat  rappelle, ab initio, sa position de principe : le terme « décisions » n’a pas la portée que lui donne la Cour et ne vise pas les instructions et circulaires publiées par l’administration fiscale.

Cependant, il relativise immédiatement son propos en rappelant que l’abus de droit permet d’écarter les montages artificiels.

Force est de constater et à la simple lecture des faits, que le contribuable avait une imagination fiscale artificiellement débordante  : de manière à bénéficier de l’exonération d’une plus-value mobilière à l’occasion de son départ à la retraite alors qu’il détenait plus de 1 % du capital de la société acquéreur de ses titres, il avait cédé la veille de la vente juste assez de titres pour redescendre sous le seuil de 1 % à une société civile appartenant à son plus proche collaborateur et qui n’avait pas d’autre actif. Le prix de vente des titres n’avait pas été payé, de sorte que trois ans plus tard, il avait pu racheter les parts de la société civile pour 3 euros.

Au regard d’un tel montage, le Conseil d’Etat a considéré que la problématique n’était pas, in fine, celle de l’application de la protection offerte par la doctrine administrative en faveur des cessions de titres à des acquéreurs dont le cédant détenait moins de 1 % du capital, mais de la nécessité de sanctionner un montage purement artificiel.

En effet et si la doctrine administrative n’avait pas prévu cette tolérance de 1 %, nul doute que le contribuable aurait alors vendu la totalité de ses titres à cette structure sans substance interposée pour les besoins de la cause. Ce faisant, le Conseil d’Etat contourne la difficulté relative à l’abus de doctrine et considère uniquement que, quelle que soit la façon dont la loi a été interprétée par la doctrine administrative, à partir du moment où le contribuable a eu recours à un montage artificiel dans un but exclusivement fiscal, il ne peut plus bénéficier du mécanisme de garantie de l’article L. 80 A du LPF.

Il convient de noter que si la doctrine administrative n’a pas d’esprit, cette tolérance avait été explicitée par l’administration lors d’une conférence organisée par l’IACF : il s’agissait d’éviter de sanctionner un contribuable qui vendait ses titres à une société cotée dont il pouvait avoir par ailleurs, et peut-être même à son corps défendant, des actions dans son portefeuille boursier. A l’époque, la limite de 1 % avait été jugée efficiente afin d’éviter ce risque.

Cette décision, en trompe l’œil, qui sous couvert de rappeler des principes bien établis en jurisprudence et par la loi, renforce l’importance de la notion de « montage artificiel », laisse les coudées franches à l’administration fiscale et les praticiens surement sans voix (es).

Espérons seulement que cette décision d’espèce sanctionne, pour partie, un « sous-doué » de la fiscalité car « tout est artificiel, dans une certaine mesure » (Andy Warhol).

  1. CE, Ass., avis, 8 avril 1998, n° 192539, Société de distribution de chaleur de Meudon et Orléans (SDMO)
  2. CAA Paris 20-12-2018 n° 17PA00747
  3. CE, Ass., 28 octobre 2020, n° 428048